Chronique publiée dans le journal Le Temps le 6 mai 2021. Laetitia Ammon-Chansel.
Une interruption de travail signifie-t-elle renoncer à sa carrière?
A l’heure où le Conseil fédéral formule des objectifs de diversité, voici un nouveau regard posé sur les trajectoires des carrières féminines
Au cours de leur vie professionnelle, les femmes traversent des périodes de transition, influencées par des préoccupations familiales ou individuelles, qui peuvent les amener à faire le choix d’une interruption de carrière.
Deux chercheuses américaines, Lisa Mainiero et Sherry Sullivan, ont découvert que les femmes avaient des carrières moins linéaires que les hommes probablement parce qu’elles donnent la priorité à ceux qui les entourent.
Une adaptation genrée
Dans leur étude, Kaleidoscope carreer*, les chercheuses comparent le comportement adaptatif des femmes à un kaléidoscope dont le dessin change selon son orientation. Au fil des événements de la vie, les femmes modifieraient leurs choix de carrière, comme si elles agençaient les nouveaux copeaux de verre d’un kaléidoscope. Elles donneraient ainsi la priorité aux valeurs de soin qui leur sont inhérentes en conciliant travail et relations personnelles.
Le grand échantillon de femmes participant à cette étude, sélectionnées selon leur niveau exécutif et comparé à un groupe d’hommes de niveau similaire, a montré que les décisions de carrière pouvaient être liées au genre. Les femmes adapteraient leur parcours professionnel aux demandes familiales, à la délocalisation de leur mari ainsi qu’à leur niveau de stress et de bien-être.
Le phénomène de retrait ou d’interruption de carrière émergerait de leur conscience relationnelle et non pas d’une approche individuelle axée sur des objectifs.
Prenons l’exemple d’Aurélie qui, après la naissance de ses jumelles, ne pouvait s’imaginer réinvestir ses responsabilités professionnelles et se séparer de ses bébés. Elle voulait avoir l’exclusivité de la première année sans stress. Elle fit ainsi le choix déchirant d’une démission alors qu’elle aimait son travail et que son manager lui offrait une grande flexibilité. Aurélie pensait qu’elle prenait un gros risque pour sa carrière, toutefois elle ne regretta jamais son choix, qui lui permit de trouver son équilibre familial.
D’après nos chercheurs, les femmes doivent conjuguer trois facteurs durant leur carrière: l’authenticité, l’équilibre et le challenge. L’importance de chacun des points évolue au cours de la vie et une réorganisation des besoins s’opère. Au début de leur carrière, les femmes semblent plus focalisées sur le challenge, puis la maternité induit des changements qui font surgir un besoin d’équilibre. En fin de carrière, le besoin d’authenticité, d’être fidèle à soi-même, devient prépondérant.
Si une jeune femme met l’accent sur le défi que lui apporte son travail lors de ses premières années, il est probable qu’elle ait besoin d’équilibre lorsqu’elle vivra ses maternités et cela ne traduit pas une baisse de motivation professionnelle. Il est essentiel que les entreprises intègrent ce modèle de carrière féminine non linéaire, comme le soulève l’article paru dans le magazine américain Academy of Management.
Si les employeurs veulent attirer et conserver les talents féminins, ils doivent s’engager dans des programmes qui permettent de concilier vies personnelle et professionnelle. Des solutions existent pour répondre aux besoins de retrait de carrière, telles que la planification de la relève à long terme, les programmes de réinsertion des femmes après une pause ou encore l’utilisation de réseaux d’anciens collaborateurs qui maintiennent un cercle social professionnel.
Garder les collaboratrices plus longtemps
De son côté, Mélanie, employée dans une multinationale de construction, a décidé de retourner au travail après dix-huit mois d’interruption et elle a reçu une proposition de son ancien employeur. Elle explique que la réussite de sa réinsertion revient au lien positif avec son manager et à son réseau professionnel.
Cet exemple progressiste montre qu’en s’adaptant à des besoins qui évoluent, les employeurs peuvent garder leurs collaboratrices plus longtemps sans en perdre les compétences. Le retrait professionnel ne devrait plus être considéré comme une utopie et il pourrait correspondre à de nouvelles normes d’évolution des carrières féminines.
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